Tout le monde a besoin de la musique

Entretien exceptionnel avec Jean-Claude DEQUÉANT, compositeur de la chanson « Libertine ».

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez pris connaissance du projet « En Routine », adaptation hospitalière de votre chanson « Libertine » ?

J’ai été étonné… et je me suis demandé si cela était bien approprié d’utiliser une musique ludique de presque quarante ans pour un sujet si sérieux. Et puis, en étudiant le projet, je me suis aperçu que le sujet bénéficiant d’une chanson aussi imprégnée dans la mémoire des personnes pouvait se justifier.

Au-delà de ça, j’étais heureux que ma chanson revive pour une cause sociétale.

Vous avez composé cette chanson en 1985. Elle a été reprise, réinterprétée, parodiée, adaptée, remixée par de nombreux artistes depuis sa création : le projet de l’hôpital de Sète était-il surprenant pour vous ?

Bien entendu ! Que le monde de la musique s’en soit emparé, c’est de l’ordre de la logique, mais qu’un organisme médical et social ait pensé à se l’approprier pour défendre une cause professionnelle et publique de santé, il y a de quoi être surpris !

« Il n’y a rien de futile dans la Musique »

Jean-Claude Dequéant (1977)

Sophie Tellier, la marraine du projet, nous a expliqué un jour que cette chanson pouvait être considérée comme une « scie musicale ». En tant que compositeur, pourriez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?

Guy Béart a composé un jour une chanson qui disait : « Scie, scie, scie, voici la scie » dont j’avais fait l’arrangement, qui parlait des airs de chansons qui semblent ne jamais vous quitter. Ce terme est assez ambivalent. Un côté désobligeant… On tape là où c’est facile, au populaire, quelque chose de pas très intellectuel. Et d’un autre côté, on parle à tout le monde… et quand, quarante ans après et sur plusieurs générations, les gens connaissent et reconnaissent cette chanson, on peut parler de « scie » sans que ce soit péjoratif.

Pochette du disque d'Anne-Marie B.

Vous utilisez une suite harmonique d’accords qui paraît très simple, mais en fait très complexe. Comment avez-vous été inspiré ? Quelles ont été vos influences sur ce titre ? Quel est votre processus créatif ? Est-ce que les sons que vous entendez ailleurs inspirent ce que vous entendez dans votre tête, avant de l’écrire sur une partition ?

La suite harmonique est effectivement simple mais peu usitée dans la chanson française. Un remix récent que j’ai beaucoup aimé a enrichi le pont et j’ai emprunté ces harmonies supplémentaires pour faire une nouvelle version, à la demande de mon ami le chanteur Tihyad.

Mon inspiration vient en même temps des années 50 avec les grands : Bécaud, Béart, Brassens, Ferré, Aznavour et le bouleversement des années 60 : Presley tout d’abord, Johnny Cash puis les Stones et autres, ainsi que les années 70, Crosby, Stills, Nash and Young, que j’ai tant aimé.

Et il ne faut pas oublier la musique classique : Schubert, Wagner, Mahler, qui m’ont nourri de leurs harmonies et mélodies complexes.

Une fois tout ça digéré, je suis seul derrière mon piano, j’ai tout oublié et j’ai l’impression que c’est plus le cœur et les entrailles qui me guident que mon cerveau, qui n’intervient qu’en dernier pour organiser le méli-mélo des idées.

Pour « Libertine », aucune influence et absolument rien de rationnel, sauf l’impression euphorique d’écrire quelque chose de fort.

« Je suis admiratif de tous ces gens merveilleux »

Vous avez entendu avant tout le monde le mixage de la chanson « En Routine », interprétée par les hospitaliers (qui ne sont donc pas des chanteurs professionnels). L’hôpital a souhaité rendre hommage à la chanson originale en reproduisant le « son » des années 80 (grâce à l’aide de la chanteuse Alexandra des L5 et de Laurent Cerezo). En toute franchise, qu’en avez-vous pensé ?

Après toutes les versions sorties pendant ces années, j’ai presque considéré cela comme une réhabilitation de la version d’origine, qui a été si souvent critiquée.

Alexandra et Laurent ont réellement bien guidé ce travail des soignants chanteurs, tous remarquables, et le texte, qui a un but très important, prouve que cette musique peut convenir à d’autres usages.

Parmi tous les artistes qui ont apporté leur soutien à ce projet, le compositeur hollywoodien Gary Guttman a accepté de composer la musique de la première minute du film en s’inspirant de votre mélodie. Cela vous a-t-il surpris ou amusé ?

Cela m’a fort intéressé qu’un compositeur de cette dimension renonce à fournir une musique originale pour broder autour de ma mélodie et mes harmonies. Et c’est très réussi !

Lorsque vous voyez autant de personnes (près de 50 hospitaliers, usagers et artistes) s’impliquer avec passion autour de votre mélodie et du film qu’elle va illustrer, que ressentez-vous ?

Je suis ému et admiratif de tous ces gens merveilleux qui se donnent, en plus de leur métier si prenant, la peine de travailler de façon professionnelle à une tâche passionnante. 

Dernière question… un hôpital qui chante un message (sérieux) pour attirer l’attention, cela peut surprendre ou choquer, parce que ce n’est pas notre métier premier, cela peut sembler « futile » ou trop léger… Pensez-vous que la musique puisse servir de moyen de communication dans un cadre professionnel ?

La musique a beaucoup de vertus et un monde sans elle serait la fin d’une humanité. Ainsi d’autres mondes doivent s’en emparer, il n’y a rien de futile dans la musique… et tout le monde en a besoin.